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La RĂ©union
samedi 27 juillet 2024

La RĂ©union, un marche quasiment unique au monde

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Vingt-cinq annĂ©es d’observation, de collecte, de traitement et d’analyse de donnĂ©es et de rĂ©ponses de personnes interrogĂ©es dans le cadre de centaines d’enquĂªtes, sur les produits, les marchĂ©s, les comportements d’achat et de consommation… Si quelqu’un est bien placĂ© pour porter un regard objectif sur l’évolution Ă©conomique et commerciale rĂ©unionnaise, sur celle de la grande distribution en particulier, c’est bien Philippe Fabing, visage bien connu du Groupe SAGIS. Philippe Fabing, prĂ©sident du groupe, est par ailleurs son directeur des Ă©tudes. Fort de cette expĂ©rience, il considère le marchĂ© rĂ©unionnais « quasiment unique au monde » de par son histoire et ses caractĂ©ristiques sociologiques. Un marchĂ© paradoxal qui, bien que très diversifiĂ©, compte certains produits alimentaires historiques qui rĂ©sistent Ă  toutes les Ă©volutions et conservent encore aujourd’hui la valeur de marqueurs identitaires. Derrière l’histoire et les activitĂ©s actuelles du Groupe SAGIS, Philippe Fabing faire apparaĂ®tre un portrait de la RĂ©union, parfois inattendu, sous l’angle de son commerce et de ses habitudes de consommation.

La société SAGIS a vu le jour en 1997 : un institut de sondage local, à l’échelle d’une région, était-il chose courante à l’époque, et encore aujourd’hui, est-ce une particularité par rapport à la métropole ?

Philippe Fabing président et Directeur des études du Groupe SAGIS

Dans l’Outre-Mer, le cas n’est pas rare. Sachant que nous ne sommes pas seulement une sociĂ©tĂ© d’études. Les Ă©tudes et les sondages reprĂ©sentent environ 40 % de notre activitĂ© – 45% sont rĂ©alisĂ©s dans le domaine de la relation client et de la fidĂ©lisation et environ 15% dans le domaine de la data-science, du data-management et de la data-visualisation. Les enquĂªtes par tĂ©lĂ©phone et en face Ă  face sont nĂ©anmoins, effectivement, le mĂ©tier historique de SAGIS. Notre histoire dĂ©bute en 1997 par la crĂ©ation de la première sociĂ©tĂ© du groupe actuel, un an après celle d’une sociĂ©tĂ© d’études locale crĂ©e sous franchise Louis Harris (devenue depuis filiale du groupe Ipsos), notre principal client au dĂ©marrage et pendant près de 20 ans dans le domaine des enquĂªtes. A partir de 2018, le modèle de relation client-fournisseur a mutĂ© progressivement, pour trouver sa forme actuelle l’annĂ©e dernière. Et c’est donc tout rĂ©cemment, que SAGIS peut proposer directement la quasi-totalitĂ© de ses services d’études Ă  la quasi-totalitĂ© du marchĂ© local ou extĂ©rieur.

Quels services proposez-vous aujourd’hui ?

En plus des Ă©tudes, pour dĂ©velopper une entreprise sur un micro-marchĂ© comme La RĂ©union, soit vous crĂ©ez d’autres choses au mĂªme endroit, soit vous allez faire la mĂªme chose ailleurs. Nous avons optĂ© pour la première solution. A partir de 2007, nous avons amplifiĂ©, avec les quatre associĂ©s dirigeants actuels du groupe, une diversification importante de nos activitĂ©s commencĂ©e en 2000, en dĂ©marrant des services relation clients, avec le dĂ©veloppement d’un centre d’appels multi-canal. En 2007, nous avons Ă©tĂ© Ă©galement prĂ©curseur Ă  La RĂ©union dans le domaine de la data science et du traitement des donnĂ©es par algorithme. Nous rĂ©alisons des analyses comportementales et de valeur, grĂ¢ce Ă  la puissance et l’intelligence de calcul des algorithmes. Cette diversification de l’entreprise aboutit aujourd’hui Ă  trois sociĂ©tĂ©s diffĂ©rentes. La sociĂ©tĂ© historique, SAGIS CRC, est le centre de relation clients et le terrain d’enquĂªtes par tĂ©lĂ©phone. La deuxième sociĂ©tĂ©, Terrains & RelevĂ©s, s’occupe du « hors les murs » : les relevĂ©s en magasins, les enquĂªtes en face Ă  face, les visites mystère, les tests produits et les Ă©tudes shopper, devant le linĂ©aire… La troisième sociĂ©tĂ©, Business et Data Solutions, propose des prestations de data science, traitement et modĂ©lisation des donnĂ©es, dĂ©veloppement d’applications, permettant de valoriser l’information recueillie. Avec cette maitrise des algorithmes, nous sommes, par exemple, une des cinq entreprises en France capables de produire des estimations du rĂ©sultats des Ă©lections pour les soirĂ©es Ă©lectorales. Mais, au quotidien, c’est dans le domaine du data-marketing et de la fidĂ©lisation que nous exploitons le plus couramment ce savoir-faire. Tout cela donne, au bout du compte, un groupe hybride et Ă©quilibrĂ©, avec un niveau technologique plutĂ´t Ă©levĂ©. Cette identitĂ© et ce positionnement d’entreprise, dĂ©veloppĂ©s sur le temps dans le contexte local, vous ne les trouvez pas vraiment au national.

Le Groupe SAGIS a mis en place les programmes de fidélité de plusieurs enseignes, dont, il y a plusieurs années, celui de Vindémia

EnquĂªte-t-on aujourd’hui comme on le faisait il y a 25 ans, et pour ce qui concerne le marketing et la distribution, cherche-t-on Ă  savoir les mĂªmes choses ?

Sur la forme, il y a l’évolution technique : pour citer un seul exemple, il y a 25 ans, pour les enquĂªtes tĂ©lĂ©phoniques, on travaillait exclusivement sur des numĂ©ros de tĂ©lĂ©phones fixes, aujourd’hui on mĂ©lange le fixe et le mobile… Sur le fond, j’ai envie de rĂ©pondre oui et non. Oui, parce que les fondamentaux n’ont pas changĂ©. Ainsi la notoriĂ©tĂ©, l’image, la visibilitĂ© en linĂ©aire, l’analyse des forces et faiblesses par rapport aux concurrents sont des Ă©lĂ©ments d’information immuables. Par contre, j’observe sur ces 25 ans une bascule progressive de la demande vers davantage d’études plus lĂ©gères et opĂ©rationnelles. De nos jours, les questionnements de nos clients portent par exemple plus souvent sur l’efficacitĂ© promotionnelle ou l’élasticitĂ© au prix. Ce sont des questionnements auquel notre maĂ®trise des algorithmes nous permet de rĂ©pondre très finement. Si l’on prend le modèle retail de la grande distribution alimentaire, par exemple : un changement très important qui est intervenu, dont on ne tire pas encore complètement tous les fruits Ă  La RĂ©union, c’est la mise en place de programmes de fidĂ©litĂ© dans certaines enseignes. Ces programmes permettent d’analyser de grandes quantitĂ©s de donnĂ©es, incluant les « sorties de caisses, sur le parcours des clients, leurs comportements d’achat, etc. Pour un distributeur ou une marque, quels sont les trois principaux axes de dĂ©fense ou de crĂ©ation de valeur ? L’axe produit, l’axe client et l’axe point de vente ou canal de distribution. Avec les historiques de donnĂ©es, nous aidons les enseignes ou les fournisseurs Ă  mieux dĂ©velopper ces trois axes de valeur.

Dans les années 90, L Réunion est passée directement de la boutique chinoise à la grande distribution

Vous pouvez donner quelques exemples ?

Dans le domaine de la fidélisation, mais nous avons mis en marché le programme de fidélité de Leclerc : cent personnes sur le terrain ! Nous avons audité et fait des recommandations d’évolution, il y a plusieurs années maintenant, le programme de fidélité de Vindémia. Plus récemment, nous avons participé à la rénovation du modèle économique et stratégique du programme de fidélité d’une autre enseigne réunionnaise à partir des données recueillies dans son programme de fidélité. Nous avons aussi participé à la conception de programmes de fidélité très connus dans des circuits de distribution hors GMS et tout récemment, un opérateur de distribution de carburant vient de nous confier la gestion opérationnelle de son programme. L’analyse poussée de tickets de caisse et des associations produits, nous l’avons aussi réalisée sur le marché national, pour un précurseur du e-commerce GMS, Houra.fr, pour affiner la stratégie de promos croisées en ligne ou pour une enseigne spécialisée du groupe Mulliez. Ces techniques de développement de valeur par le cross-sell sont fondées sur un cas « précurseur » assez connu dans la distribution. C’est par l’analyse de données que l’enseigne américaine Walmart et son fournisseur Procter&Gamble se sont rendu compte, le vendredi soir, d’un pic de vente conjoint de couches-culottes pour bébé et de bières ! Walmart a alors développé les ventes par du merchandising mobile pour rapprocher les couches et les bières, le vendredi. L’exemple de Tesco, en Grande Bretagne, est également un autre cas connu dans l’histoire du traitement de données et de bascule du modèle promotionnel dans la distribution.

Vous suivez le développement de la grande distribution depuis trois décennies : si vous deviez résumer son évolution en quelques mots clés, lesquels choisiriez-vous ?

En premier : la professionnalisation du marchĂ©. En second : l’accentuation de l’intensitĂ© concurrentielle. Il y a 25 ans, une enseigne largement leader faisait quasiment, Ă  elle seule, la pluie et le beau temps… Beaucoup de changement se sont produits, depuis, dans la distribution rĂ©unionnaise. La troisième chose Ă  relever, c’est que, du fait de la professionnalisation, les Ă©carts entre le meilleur et le moins bon se sont beaucoup rĂ©duits. Les points de vente sont globalement tous bien tenus. Et l’on observe un phĂ©nomène de normalisation et de convergence dans le positionnement des enseignes, Ă  peu près toutes positionnĂ©es sur le « middle market » – ce qui peut Ăªtre comprĂ©hensible compte tenu des caractĂ©ristiques d’éloignement et d’exiguĂ¯tĂ© du marchĂ© local, combinĂ©es Ă  un pouvoir d’achat sensiblement moindre qu’au national. Si bien que sur l’île, deux segments sont beaucoup moins dĂ©veloppĂ©s qu’au national, voire absents. C’est « l’entrĂ©e de marchĂ© » avec le hard discount : nous n’avons pas cette catĂ©gorie de magasins, type Aldi, Lidl, hyper agressive sur les prix. Nous n’avons pas non plus le segment supĂ©rieur de la distribution, incarnĂ© par exemple par Monoprix. C’est la raison pour laquelle la bataille des enseignes, pour se distinguer, joue tant sur les prix et l’image prix. Pourquoi, aussi, la stratĂ©gie de dĂ©veloppement se fait pour certains principalement par la maĂ®trise des diffĂ©rents formats. Il y a 25 ans, le format du supermarchĂ© dominait.
Le format hyper s’est depuis très fortement développé. Nous entrons maintenant dans une nouvelle phase : le segment de distribution regardé de très près aujourd’hui par certaines enseignes, c’est celui de la proximité.

Vous voyez un recul de la grande distribution ?

La commerce de dĂ©tail rĂ©unionnais d’aujourd’hui est au standard europĂ©en

Une Ă©tude de l’Insee parue en novembre 2020 montre que, contrairement Ă  ce que certains imaginent peut-Ăªtre, la grande distribution perd globalement des parts de marchĂ© Ă  La RĂ©union. Cette forme de distribution est toujours archi-dominante localement, plus mĂªme qu’en mĂ©tropole et aux Antilles. Il n’en reste pas moins qu’entre 2006 et 2017, sa part de marchĂ© est passĂ©e de 81 % Ă  77 %. L’histoire du commerce Ă  la RĂ©union est, Ă  certains Ă©gards, l’inverse de l’histoire mĂ©tropolitaine. En mĂ©tropole, le commerce de dĂ©tail traditionnel Ă©tait construit avant que n’arrive la grande surface. A La RĂ©union, rien de tout cela : on est passĂ© directement, dans les annĂ©es 90, de la boutique chinoise Ă  la GMS ; d’une offre souvent proche de la pĂ©nurie Ă  « l’hyper-choix ». Ici le commerce spĂ©cialisĂ© est arrivĂ© après la grande surface.
Prenez les cavistes : ils se sont développés à la Réunion depuis l’arrivée de la grande distribution, et non avant. Une autre spécificité notable du marché réunionnais par rapport au marché national, c’est la relative faiblesse de la GMS, et le modèle particulier mis en place dans certains magasins, sur un rayon pourtant stratégique : celui des fruits et légumes. La part du marché forain demeure, ici, très supérieure à ce qu’elle est au plan national.

La grande distribution rĂ©unionnaise est positionnĂ©e sur le “middle market”

Le pendant de cette évolution des enseignes, c’est celle du comportement des consommateurs. Comment cela se traduit-il concrètement, dans vos observations de terrain en magasins par exemple ?

La sociĂ©tĂ© rĂ©unionnaise est en mutation forte et rapide depuis plusieurs dĂ©cennies. Mondialisation, Ă©volutions dĂ©mographiques, explosion du pouvoir d’achat des mĂ©nages depuis les annĂ©es 90 : les moteurs du changement sont puissants. En matière de consommation alimentaire, on cite souvent en exemple de ces consĂ©quences la substitution progressive du riz par le pain, les pĂ¢tes et les frites surgelĂ©es dans l’alimentation. Il n’y a qu’à voir aussi le succès des fast food ou des camions pizza. Et pourtant le camion bar et les snacks n’ont pas disparu, pas plus que le riz de l’alimentation rĂ©unionnaise. D’autres formes et d’autres habitudes de consommation s’installent Ă  cĂ´tĂ© des anciennes. Le rapport Ă  la cuisine a Ă©voluĂ© comme en mĂ©tropole, on recherche des produits plus rapides et faciles Ă  cuisiner. Mais cette bascule n’empĂªche pas des marqueurs culturels extrĂªmement forts de subsister Ă  La RĂ©union. Je note aussi que, Ă  l’occasion de la Covid et du confinement, les consommateurs rĂ©unionnais se sont davantage orientĂ©s vers la proxi au dĂ©triment des magasins de destination. Quelle sera la poursuite de cette tendance avec les hausses des prix des carburants ?

Toutes les enseignes de distribution considèrent les marques locales incontournables, mais ces marques ont-elles toujours autant la cote auprès des jeunes qui sont de plus en plus soumis aux influences internationales ?

Le segment de distribution regardĂ© de très près aujourd’hui par certaines enseignes, c’est celui de la proximitĂ©

Il y a des paradoxes inattendus en la matière… Mais sur cette question de la production locale, je dirai d’abord un mot de ce qui nous concerne en propre chez SAGIS. Le secteur de la relation clients (et c’est vrai aussi pour celui des enquĂªtes) a beaucoup souffert, depuis 10 ans, de dĂ©localisations et de la concurrence de Maurice et de Madagascar. Nous aurions pu surfer par opportunisme sur cette vague de dĂ©localisations, mais nous avons choisi de maintenir toutes nos activitĂ©s 100 % locales. Pour des raisons de qualitĂ© de service. Mais aussi au vu de la situation sociale et Ă©conomique de La RĂ©union, je considère que c’est une Ă©vidente nĂ©cessitĂ©, de privilĂ©gier l’emploi local et donc, pour tous les acteurs, de concentrer au maximum possible leurs achats sur la production locale. Nous avons beaucoup travaillĂ© sur la question de la production locale. Quand vous parlez de production locale avec les consommateurs rĂ©unionnais, ils vous disent en gĂ©nĂ©ral deux choses, largement fondĂ©es sur leurs perceptions dans le domaine de l’alimentation : la qualitĂ© est bonne et les prix sont en consĂ©quence, c’est-Ă -dire plutĂ´t chers. Ce qu’il faut voir pourtant, c’est que la grande distribution a concouru Ă  mettre la production locale Ă  la portĂ©e du plus grand nombre Ă  La RĂ©union, tout en accentuant la pression concurrentielle des produits extĂ©rieurs. Par exemple, quand nous avons cherchĂ© Ă  comprendre comment et pourquoi le cari rĂ©unionnais pouvait rĂ©sister aussi bien Ă  l’évolution des comportements alimentaires, qu’elle a Ă©tĂ© la rĂ©ponse des gens d’un certain Ă¢ge ?
« Parce que maintenant on peut se le payer ! Avant, le cari, on en mangeait qu’une fois par semaine ! » C’est l’accessibilitĂ© aux produits permise par la grande distribution, combinĂ©e Ă  la croissance très forte du pouvoir d’achat des annĂ©es 90, qui explique en grande partie la place dominante prise par le cari dans les foyers, en frĂ©quence de consommation, mĂªme si cette part est maintenant sur le reculoir. Sur le marchĂ© rĂ©unionnais, vous avez des marqueurs identitaires de ce type d’une force remarquable, mais vous avez aussi des leaders impressionnants dans certaines marques nationales, qui ont rĂ©sistĂ©, malgrĂ© la diversification de l’offre et les assauts de la concurrence. De ce point de vue, la RĂ©union est un marchĂ© assez unique au monde. Je pèse mes mots. C’est dĂ» notamment aux mĂ©canismes qui ont permis Ă  certaines marques de continuer de dominer leurs marchĂ©s Dans le domaine des boissons, par exemple, les parts de marchĂ© dominantes de Johnny Walker sur le whisky, de Charrette sur le rhum, d’une Dodo sur la bière ! C’est rare sur des marchĂ©s qui se sont par ailleurs tant diversifiĂ©s. Mais Ă  l’inverse, certains leaders historiques ont Ă©tĂ© balayĂ©s, comme le vin Baron d’Arignac, relĂ©guĂ© en Ă  peine deux ans du statut de leader Ă  celui de faire-valoir. Mieux comprendre pourquoi certains rĂ©sistent et d’autre non est riche d’enseignement, pour mieux apprĂ©hender les particularitĂ©s des comportements de consommation et de leurs Ă©volutions Ă  la RĂ©union.

C’est vrai aussi pour les millenials ?

Je pense que les gĂ©nĂ©rations les plus jeunes vivent Ă  un moment particulier de l’histoire de l’île. La mondialisation, parmi ses multiples consĂ©quences, a aussi avivĂ© un dĂ©sir de marqueurs identitaires. Et on retrouve ce dĂ©sir aussi dans la consommation, dans la force intacte de ces marques totem indĂ©trĂ´nables ou très rĂ©sistantes. Ce qu’il faut comprendre, c’est que ces marques totem jouent un rĂ´le dans la sociologie singulière de l’île. Ils sont des rĂ©ducteurs de tensions dans la sociĂ©tĂ© rĂ©unionnaise, très plurielle, fragmentĂ©e Ă  beaucoup d’égards. Concrètement, lorsque vous sortez une bouteille de Johnny Walker pour la poser sur la table, tous ceux qui consomment du whisky se retrouvent autour de cette bouteille par-delĂ  leurs diffĂ©rences. Le cari volaille, le cari le plus emblĂ©matique avec un grand C de La RĂ©union, a aussi cette fonction, par rapport aux autres viandes principales, le porc et le bÅ“uf, qui comportent des caractères plus excluants. Tous les RĂ©unionnais, quels qu’ils soient, peuvent se retrouver autour de ce plat de volaille, la viande la plus consommĂ©e sur l’île. Il y a bien entendu d’autres facteurs qui jouent, mais cette fonction sociologique est un moteur souvent mĂ©connu. C’est en cela que la RĂ©union est, Ă  mon avis, un marchĂ© quasiment unique au monde.

Que représente le e-commerce à La Réunion ? Observez-vous également les comportements d’achat sur ce canal ?

Nous avons aussi beaucoup travaillĂ© sur l’e-commerce. Premier constat : La RĂ©union n’a pas attendu internet pour acheter Ă  distance, ce sport est pratiquĂ© depuis très longtemps ici. Il faut se souvenir des magasins physiques de La Redoute et des Trois Suisses. Il s’agissait d’institutions Ă  la RĂ©union.Aujourd’hui, le e-commerce s’est beaucoup dĂ©veloppĂ©, mais il est encore freinĂ© Ă  La RĂ©union par deux causes principales. La première, c’est la fracture numĂ©rique, plus importante Ă  la RĂ©union : 30 % des RĂ©unionnais ne sont quasiment jamais sur internet. Des pourcentages qui montent Ă  37 % pour les 45-59 ans et 70 % pour les 60 ans et plus. Ce sont les donnĂ©es de l’Insee. Le deuxième facteur limitant, c’est que certains leaders mondiaux du e-commerce ne livrent pas systĂ©matiquement Ă  La RĂ©union. Je pense notamment Ă  Amazon et, au niveau français, Ă  C Discount. NĂ©anmoins, ça n’a pas empĂªchĂ© le e-commerce de se dĂ©velopper très fortement dans beaucoup de catĂ©gories, dont on remarque d’ailleurs qu’elles ne sont pas forcĂ©ment toujours les mĂªmes qu’en mĂ©tropole. En valeur, Ă  la RĂ©union, l’achat de billets d’avion et de sĂ©jours de voyage arrive très loin devant. Mais les achats de textiles, de pièces dĂ©tachĂ©es automobile, sont aussi des exemples de secteurs forts de l’e-commerce local.
L’enseignement à en tirer : pour ce qui concerne le mass market, si l’on veut optimiser la couverture du marché local, les canaux digitaux sont devenus incontournables, mais en complément et pas en encore en substitution, des canaux traditionnels.

On voit, notamment dans le marketing, beaucoup de rĂ©sultats d’enquĂªtes rĂ©alisĂ©es via des panels internet. Ont-ils autant de fiabilitĂ© que ceux des enquĂªtes traditionnelles par tĂ©lĂ©phone ou en face Ă  face ?

A l’échelle nationale ou internationale, les panels d’internautes fonctionnent parfaitement bien et l’ont prouvĂ©. Toutefois, dans le contexte particulier de la RĂ©union, quand nous cherchons les donnĂ©es les plus fiables et les plus robustes possibles, que nous avons besoin d’études finement reprĂ©sentatives de la sociĂ©tĂ© rĂ©unionnaise dans son ensemble, chacun comprendra que nous prĂ©fĂ©rons, chez SAGIS, justement Ă  cause de la fracture numĂ©rique dont je viens de vous donner les chiffres, mais aussi de l’illettrisme et de la place de la langue crĂ©ole dans la sociĂ©tĂ© rĂ©unionnaise, continuer de privilĂ©gier les canaux traditionnels du tĂ©lĂ©phone ou du face Ă  face, canaux qui permettent Ă  nos enquĂªteurs rĂ©unionnais de toucher tous les publics dans les deux langues principales de l’île. Par parenthèse, les mĂªmes causes produisent les mĂªmes effets dans le domaine de la relation clients, oĂ¹, Ă  notre avis, les canaux traditionnels bilingues restent incontournables si l’on veut toucher tous les publics. Dans les enquĂªtes « retail », la question ne se pose pas de la mĂªme manière. Nous venons de rĂ©aliser une enquĂªte pour un industriel local qui envisage le lancement d’un nouveau produit. Avec une double approche quantitative et qualitative. Nous sommes allĂ©s interroger les clients directement devant le linĂ©aire, lĂ  oĂ¹ nous Ă©tions sĂ»rs d’avoir Ă  faire Ă  des vrais acheteurs, et oĂ¹ il Ă©tait possible de leur montrer les produits du rayon. Pour la robustesse d’une Ă©tude, si la donnĂ©e de base n’est pas reprĂ©sentative ou si elle est biaisĂ©e, c’est perdu d’avance…

Au-delĂ  des enquĂªtes et de l’analyse de donnĂ©es, faites-vous des propositions, des prĂ©conisations, Ă  vos clients ?

Tout le temps. Cela fait partie intégrante de nos services. C’est une autre spécificité d’un petit marché comme La Réunion. Ici, compte tenu de la taille moyenne des organisations avec lesquelles nous travaillons habituellement, nous participons souvent très activement à la réflexion commune sur les conséquences opérationnelles des conclusions d’une étude. C’est aussi vrai dans le domaine public que dans le domaine privé. Nous apportons aux entreprises, aux institutions, le recul de nos 25 ans de captation et d’analyse d’informations et de connaissance du marché local.

QUATRE ASSOCIÉS AUX MANETTES
50 collaborateurs, trois pĂ´les d’activitĂ©s, premier opĂ©rateur multi-canal de relation clients Ă  La RĂ©union. L’expert rĂ©unionnais de l’enquĂªte et du sondage est devenu Ă©galement un expert de la data science et du dĂ©veloppement digital. Cette esquisse rapide du Groupe SAGIS (trois sociĂ©tĂ©s couvertes par une holding) serait incomplète sans le rappel qu’ils sont quatre associĂ©s dirigeants complĂ©mentaires, Ă  l’origine des mĂ©tiers qui font aujourd’hui du groupe un ensemble unique Ă  La RĂ©union. Quatre piliers qui en assurent le pilotage. Philippe Fabing, prĂ©sident et directeur des Ă©tudes du Groupe SAGIS. Lionel Roux, data-scientist, responsable du pĂ´le Data Science et DĂ©veloppement digital. Nacera Fabing, directrice de production du Centre de Relation Client (CRC) et des terrains d’enquĂªte. Et Evelyne Coupama-Fontaine, directrice des affaires financières.

Propos recueillis par Olivier Soufflet

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