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La Réunion
mardi 29 avril 2025

La Réunion à l’avant-garde des cosmétiques

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Trois innovatrices, trois entreprises naissantes, trois gammes de produits sans équivalent sur le marché des cosmétiques : telle est la réalité de The Island Cosmetics, Olica et Omaïdo. Les trois marques indépendantes réunionnaises partagent une exigence maximale de naturalité et d’efficacité dans leurs produits et un attachement à valoriser des ressources naturelles de La Réunion et de l’océan Indien. Nous leur avons demandé si elles trouvaient exagéré d’affirmer que leurs innovations placent La Réunion à l’avant-garde des cosmétiques. Vous lirez leurs réponses, mais voici les faits. Fondatrice de la marque The Island Cosmetics, Sarra Beldi-Vencatachellum a conçu la première marque de maquillage solaire à base d’ingrédients naturels et sans conservateur, assurant également une haute protection solaire (indice 50). The Island Cosmetics fait partie des start-up accélérées au sein de l’écosystème d’innovation du Village by CA de La Réunion. Fondée par Marina Féat-Gultzgoff, Omaïdo était, il y a deux ans, la première marque française de soins 100 % d’origine naturelle intégralement formulés à froid, afin de préserver au maximum les principes actifs des plantes. La gamme de soins Omaïdo demeure à la pointe de ce procédé, et l’applique au curcuma, son principal ingrédient. Avec son associée phytochimiste Emmanuelle Ferrere, Camille Legrand, fondatrice d’Olica, réinvente le savoir-faire des tisaneurs réunionnais sur une base scientifique pour créer des émulsions concentrant les bienfaits de plantes de La Réunion et proposer aux industriels des cosmétiques et aux parfumeurs des extraits végétaux et des huiles essentielles inédits, n’existant nulle part ailleurs. Reconnues par le milieu professionnel des cosmétiques, ces marques sont aujourd’hui à la recherche de partenaires commerciaux partageant leur niveau d’engagement. Un engagement que ne favorise pas l’absence de filière structurée des cosmétiques à La Réunion. Qualitropic, pôle de compétitivité sur l’innovation en bio-économie tropicale, porte un projet de filière des plantes aromatiques et médicinales (PAPAM) dans l’océan Indien. Il faut donc souligner la récente nomination à sa présidence d’Henri Beaudemoulin, dirigeant de Pat Zerbaz, autre innovateur dans la valorisation des richesses végétales réunionnaises, qui connaît parfaitement les problématiques de l’innovation en cosmétiques à La Réunion.

Olica symbolise l’union des huiles (Oli) et du soin (care). À gauche, analyse sensorielle.
Au milieu, nouveautés hydrolats lancées en mars 2025. À droite, Emmanuelle Ferrere, phytochimiste et associée d’Olica.

Leader Réunion : Valoriser les principes actifs de plantes de La Réunion et de l’océan Indien pour créer des produits de soin et de beauté innovants : est-ce une bonne définition de vos projets ?

Camille Legrand : La Réunion a un héritage, une tradition du soin par les plantes qui a su être préservée. Chez Olica, nous cherchons à adapter ces soins au mode de vie moderne. Nous avons mis au point des émulsions qui simplifient l’utilisation des huiles essentielles et placent ces soins à un prix accessible aux consommateurs. Notre force, c’est d’exploiter l’essence de la plante dans une formule courte. Nos produits contiennent des pourcentages de principes actifs bien supérieurs à la moyenne des cosmétiques. La simplicité d’utilisation répond aux besoins quotidiens des femmes ou des hommes d’aujourd’hui, toujours très occupés.

Sarra Beldi-Vencatachellum : Chez The Island Cosmetics, notre aventure a pris un tournant inattendu à La Réunion, où nous avons découvert un secret précieux : le maquillage solaire. Notre innovation ? Allier fond de teint et protection solaire pour sublimer toutes les carnations, toutes les peaux, sans compromis. Au cœur de cette haute protection se trouve une plante exceptionnelle, une huile précieuse issue des richesses naturelles de l’île. Plus qu’un simple maquillage, une véritable révolution beauté inspirée par La Réunion !

Marina Féat-Gultzgoff : Chez Omaïdo, la valorisation de La Réunion est dans mon ADN personnel. Pendant quinze ans, j’ai agi en faveur du développement du territoire, en particulier de l’agriculture réunionnaise. C’était fondamental pour moi de travailler avec des producteurs locaux et avec des matières premières locales, comme le géranium Bourbon, certainement la plante la plus connue de La Réunion en cosmétiques, et le curcuma, qui est aussi l’épice phare de l’île, encore très peu valorisé en cosmétiques alors que ses vertus sont multiples. Je souhaite travailler à partir de ce binôme, géranium Bourbon et curcuma, avant d’aller plus loin vers d’autres plantes de La Réunion.

Est-ce exagéré d’affirmer que des projets comme les vôtres placent La Réunion à l’avant-garde des cosmétiques ?

S. B.-V. : Je viens de gagner un prix au MakeUp in Los Angeles, un des principaux salons professionnels pour l’industrie mondiale des cosmétiques et de la beauté ! D’autres prix m’ont déjà montré que l’innovation de mon produit hybride est reconnue par le milieu professionnel. On m’a même dit que j’ouvrais un nouveau segment de marché ! Par son emplacement dans l’océan Indien et sa spécificité, La Réunion dans son ensemble a toujours été obligée d’innover, dans tous les domaines. En cosmétiques, l’île est un laboratoire à ciel ouvert. Les différentes origines et cultures de sa population constituent un atout considérable. Ce sont autant de types de peau. Je pense que cette diversité permet de concevoir des produits répondant aux besoins de toutes les carnations. Elle nous place en avance par rapport à d’autres marques, même les plus grandes.

C. L. : Ce que je peux dire pour Olica, c’est que nous répondons à des attentes de marché qui sont en plein développement, notamment pour toute la partie B to B. Nous proposons aux industriels des cosmétiques et aux parfumeurs indépendants des extraits de plantes 100 % naturels, sans solvants organiques, dont des essences absolument inédites, que l’on ne trouve nulle part ailleurs et qui s’inscrivent dans les principales tendances du marché sur le besoin de naturalité couplée à l’efficacité prouvée scientifiquement. Nous nous inscrivons ainsi dans ce courant d’innovation qui porte actuellement les cosmétiques.

M. F.-G. : Omaïdo a récolté 4 prix sur la période 2024-2025 au niveau national : trois Victoires de la beauté responsable et un Meilleur produit Pharma. C’est une autre preuve que La Réunion a sa place dans l’univers des cosmétiques et que nos innovations sont à la hauteur de celles des plus grands noms.

À votre avis, est-ce seulement une coïncidence si Olica, Omaïdo et The Island Cosmetics sont apparues à peu près à la même période, il y a trois ou quatre ans ?

M. F.-G. : C’est un hasard dans le sens où l’on ne se connaissait pas à l’époque. Nous n’avons pas pensé à nos projets en parallèle. Mais j’y vois le signe d’une certaine maturité d’un milieu. Cela correspond, comme le disait Camille, à une attente du marché de plus de naturalité. Il y a aussi la prise de conscience de la richesse de la cosmétopée réunionnaise et de sa très insuffisante valorisation. Donc un hasard du point de vue du calendrier, mais pas par rapport aux attentes du public ni à la sous-valorisation de notre biodiversité et de ses richesses cosmétiques.

S. B.-V. : D’autres îles sont en avance sur nous dans le domaine des cosmétiques, comme aux Antilles. Peut-être arrivons-nous toutes les trois à ce moment pour commencer à rattraper ce retard. Cette richesse incroyable de La Réunion, on ne peut pas l’exploiter faute d’organisation et de filière constituée. Cosmetic Valley, le pôle de compétitivité national de la filière parfumerie cosmétique, a créé une antenne àla Martinique, où il existe aussi divers projets, pour y impulser une telle filière. Nous avons eu le courage et l’ambition de nous lancer à La Réunion. J’espère que notre volonté commune d’innover va inciter Cosmetic Valley, ou d’autres organismes, à venir s’installer chez nous. J’ajoute que nous nous connaissons et que nous travaillons dans une approche partenariale.

C. L. : Nous échangeons beaucoup et collaborons en partie. L’idée, c’est que nous puissions toutes et tous profiter de ces valorisations que nous mettons chacune en œuvre.

Olica a mis 7 ha en culture bio de plantes endémiques à Piton Saint-Leu. Omaïdo se fournit auprès d’agriculteurs bio réunionnais et mahorais, The Island Cosmetics revendique des ingrédients issus de la biomasse réunionnaise : l’origine Réunion ou océan Indien de la matière première est-elle constitutive du produit pour vous ?

M. F.-G. : Chez Omaïdo, très clairement : l’objectif est de se fournir au maximum à La Réunion. Mais la filière cosmétique n’est pas structurée, surtout au niveau du sourcing agricole. Pour ma part, j’ai vite été confrontée à cette réalité : les producteurs n’étaient pas formés pour fournir une matière première conforme réglementairement à un usage cosmétique. J’ai donc revu mes ambitions à la baisse en me concentrant sur trois matières premières exclusivement : le géranium, le curcuma et le sucre roux. Un travail a été réalisé en amont avec l’Armefhlor * pour développer une production correspondant à mes besoins. Je suis aussi allée à Mayotte chercher de l’huile essentielle d’ylang-ylang. C’était important pour moi de pouvoir soutenir cette autre île française, et ça l’est encore plus après le passage du cyclone Chido. Je me suis également tournée vers Madagascar pour les huiles végétales, car nous n’en produisons pas à La Réunion. Mais ma priorité demeure que mes actifs phares viennent principalement de producteurs réunionnais installés à La Réunion.

S. B.-V. : Les richesses naturelles ne manquent pas, que ce soit à Madagascar, à Mayotte ou à La Réunion. À La Réunion, malheureusement, comme disait Marina, il y a énormément de freins pour se fournir. Je soulève un autre problème à ce niveau : les produits cosmétiques ont besoin de certifications. Or pour en obtenir une, Cosmos par exemple, il faut que toute la chaîne en amont soit elle-même certifiée. Un travail est donc à faire pour accompagner les producteurs dans ce sens. En ce qui me concerne, les deux laboratoires en métropole avec lesquels je travaille se fournissent à La Réunion, ce sont eux qui accompagnent leurs fournisseurs producteurs. Cela démontre que nous avons besoin d’une filière structurée pour continuer à travailler avec des ingrédients locaux. Il y a peut-être une source d’inspiration du côté de Madagascar, où les producteurs, avec très peu de moyens comparés à la France, ont structuré une filière d’ingrédients. Tout n’est pas parfait, mais nous pourrions regarder comment ils s’y sont pris.

C. L. : Chez Olica, nous avons mis en culture les plantes endémiques sur notre exploitation bio de Saint-Leu, nous nous fournissons également auprès d’agriculteurs réunionnais pour les plantes traditionnelles et nous prélevons les espèces envahissantes, notamment sur le territoire de l’ONF. Nous nous fournissons également à Madagascar pour tout ce qu’on ne peut pas trouver à La Réunion, ou alors à des tarifs inacceptables. Je suis assez fière de travailler avec mes partenaires malgaches. Je pense que c’est aussi un rôle de La Réunion d’aider Madagascar à valoriser ses produits dans une relation de proximité.

À quelles clientèles vous adressez-vous et quels sont vos circuits de distribution ?

M. F.-G. : Je développe Omaïdo à la fois à La Réunion et en métropole. En matière de réseaux de distribution, je suis à 90 % en pharmacie. Ma gamme demande du conseil, d’expliquer le 100 % d’origine naturelle, la formulation à froid, les principes actifs, les plantes qui composent mes produits. Mais je suis aussi chez Monoprix, dans des concept stores, des instituts esthétiques et d’autres lieux.

S. B.-V. : Au départ, j’ai vu dans la vente en ligne le circuit de distribution de The Island Cosmetics. Mais mon huile de teint se décline en 16 teintes, et la clientèle des cosmétiques a besoin de tester les produits. J’ai intégré de l’IA et développé une application sur le site pour faciliter la recherche de la bonne teinte, mais ce n’est pas encore dans les habitudes d’utiliser ce type d’outil numérique. Je suis donc actuellement en pharmacie à La Réunion et dans des magasins type Sephora à Maurice. The Island Cosmetics est distribuée à New York et à Hongkong dans des concept stores. En revanche, en métropole, je n’ai pas encore de points de vente. Par ailleurs, je continue à vendre en ligne et à livrer partout dans le monde.

C. L. : Nos produits aussi ont besoin d’être expliqués pour la partie B to C. Nous sommes donc en pharmacie. Nous leur fournissons un livret et formons régulièrement les équipes pour développer leur connaissance des plantes locales afin qu’elles puissent conseiller les consommateurs comme il faut. Nous sommes aussi dans des magasins spécialisés en soins et beauté. Nous nous sommes rendu compte qu’il existait une clientèle dans ce circuit qui recherchait des produits naturels comme les nôtres. En B to B, nous nous adressons essentiellement aux industriels des cosmétiques et aux parfumeurs, auxquels nous proposons des huiles essentielles et des extraits très spécifiques issus de notre technologie innovante mise au point dès le début de l’histoire d’Olica.

Olica, de la récolte de la matière première (ici la cueillette de combava) aux produits finis grand public, huiles et émulsions,
en passant par le salon professionnel Cosmetic 360, en octobre dernier à Paris, où l’offre B to B a été officiellement lancée

Rencontrez-vous des difficultés pour être distribuées ?

M. F.-G. : La complexité, je pense, partagée par nos trois marques, c’est que nous n’avons pas encore la notoriété suffisante pour que les produits se vendent, si je puis dire, « tout seuls ». Nous avons besoin de partenaires commerciaux, comme l’évoque Camille. De partenaires qui s’impliquent, qui ont envie de conseiller les produits, de se différencier, qui veulent aussi faire vivre et valoriser les cosmétiques réunionnais.Nous en sommes à cette étape. Après, il est certain qu’à La Réunion comme en métropole ou ailleurs, personne ne nous attend. D’après ma petite expérience, si la première difficulté est d’ouvrir des points de vente, le plus complexe est ensuite de les faire vivre et d’assurer des ventes régulières. Pour que les produits « sortent », il faut former les équipes, passer régulièrement, les motiver. C’est là que notre positionnement géographique pose un problème. Nous avons un vrai challenge lié à la distance.

S. B.-V. : Un maquillage solaire, le premier du marché, a nécessairement besoin d’être expliqué. Ce n’est pas un produit que l’on pose sur une étagère en attendant qu’il parte tout seul. Une autre difficulté vient de la cherté du made in France. Donc, oui, nous avons besoin de partenaires commerciaux qui nous aident à pousser les portes. Si on nous ouvre la porte, le produit se vendra. Nous mettrons les moyens pour cela. Mais il faut d’abord que l’on nous fasse confiance pour que nous puissions pénétrer des marchés.

C. L. : Je suis tout à fait en accord avec ce que viennent de dire Marina et Sarra. Nos émulsions de plantes, nous les expliquons, nous formons, nous communiquons, mais nous avons besoin que les points de vente fassent le relais. Là où ce relais existe, les choses fonctionnent : en Corée, où nous vendons nos huiles essentielles, nous avons un partenaire commercial qui nous représente et nous développe. Nous l’intéressons, il croit en nous, parce que nous avons des produits originaux qu’on ne trouve pas ailleurs. Finalement, c’est plutôt localement que nous avons parfois des difficultés à établir de véritables partenariats, alors que notre raison d’être est de valoriser le savoir-faire péi et de travailler en circuit court.

Comment sont perçues et reçues vos innovations par le milieu professionnel des cosmétiques ?

S. B.-V. : Je ne viens pas du monde des cosmétiques, ni de la chimie, ni de la pharmacie scientifique. Que des professionnels de ces univers valident mon innovation, comme par exemple par le prix international que je viens de recevoir aux États-Unis, c’est une reconnaissance incroyable pour moi. C’est génial d’être reconnu quand on démarre. Je dirais que les professionnels sont intrigués. J’ai même eu une proposition de rachat de ma formule.

C. L. : Nous avons lancé notre gamme B to B au salon Cosmetic 360 à Paris au mois d’octobre dernier. Nous avons suscité énormément de curiosité, d’attrait pour nos produits et pour notre technique d’extraction innovante. Depuis, nous faisons beaucoup d’envois d’échantillons, mais l’implication étant importante pour les clients, le processus est lent, un an en moyenne à partir de l’échantillonnage. Nous première commande de parfumeurs est arrivée début mars !

M. F.-G. : La reconnaissance nationale que représentent les prix Meilleur Produit Pharma et Victoire de la beauté m’ouvrent des portes. Je suis en discussion avec Yves Rocher pour rejoindre leur marketplace de marques françaises, naturelles, etc. Également avec Beauté privée, réseau de ventes privées de produits de beauté. Les choses sont plus avancées avec la French Beauty, concept store qui fédère une quarantaine de marques de cosmétiques indépendantes. J’intègre leur magasin parisien et leur site marchand le 1er avril. Les récompenses crédibilisent nos marques et permettent de passer des caps de commercialisation. Les pharmaciens y sont sensibles, les consommateurs aussi. J’ai fait refaire mes packagings pour y intégrer l’anglais à côté du français et pour y faire figurer les récompenses que mes produits ont obtenues. Je sens que c’est important pour tout le monde.

Avez-vous déjà prévu l’étape où les quantités de produits demandées vont augmenter ?

S. B.-V. : Je l’ai anticipée en choisissant dès le départ des partenaires capables de faire du petit comme du grand volume.

M. F.-G. : Omaïdo est un poussin. Les minimums de commande demandés par les fabricants pèsent lourd par rapport à notre taille de marché actuel. C’est un atout d’avoir des partenaires industriels qui seront capables de répondre rapidement sur de plus gros volumes. Mais il y a la partie amont du producteur, avec ses faiblesses, dont nous parlions tout à l’heure. Avec le géranium, le curcuma et le sucre, j’ai fait le choix de matières premières réunionnaises sécurisées d’un point de vue sourcing en qualité et en quantité.

C. L. : « Qu’êtes-vous capable de produire comme volume ? » : c’est une des premières questions que nous pose la clientèle B to B. Nous avons mis 7 ha en culture pour être justement en capacité de produire sans avoir à prélever dans le milieu sauvage, et nous avons également des producteurs qui attendent nos commandes ! Nous venons de finaliser un laboratoire qui va nous permettre de changer d’échelle. Avec ce laboratoire, nous sommes désormais en mesure de leur apporter une réponse qui convient sur les volumes. C’est pour nous un investissement très important, mais c’est notre choix. Cette prise de risque, j’en suis convaincue, sera fructueuse un jour ou l’autre.

En métropole aussi, des projets de cosmétiques naissent en régions : est-ce le signe d’une lassitude de la clientèle pour les grandes marques et laboratoires qui font la loi sur ce marché ?

M. F.-G. : Toute une frange de la population est à la recherche d’autre chose. Je pense que nos projets reflètent cette volonté de plus de transparence, de traçabilité, de sourcing local des produits, de faire des cosmétiques un achat engagé. De plus en plus de femmes, et d’hommes aussi – car les hommes sont de plus en plus nombreux à utiliser des produits cosmétiques – veulent savoir ce qu’elles achètent et donner un sens à leurs achats. C’est une tendance de fond. Malheureusement, il y a aussi la réalité du porte-monnaie dans le contexte économique que nous connaissons. Mais nous nous inscrivons dans cette tendance du mieux consommer.

S. B.-V. : Les gens s’interrogent davantage sur ce qu’ils mettent sur leur peau. On le constate depuis la crise de la Covid. Le gros challenge, pour toutes les marques indépendantes comme les nôtres, c’est de répondre à cette recherche de naturalité qui reste associée à une exigence d’efficacité. Cela demande beaucoup d’engagement de s’imposer une rigueur scientifique associée à cette double recherche de naturalité et d’efficacité. Je pense qu’à ce niveau nous, jeunes marques, allons plus loin que les marques traditionnelles. Pour moi, 98 % de naturalité, ce n’est pas la même chose que 100 %. Et je veux 100 %. Il n’y a pas de conservateur dans mon produit. C’est ma promesse et je la tiens. Je fabrique sous vide et j’ai dû réaliser un flacon spécial airless. Je fais preuve d’intransigeance sur certains aspects qui me paraissent fondamentaux, là où les grands groupes, avec tous leurs standards et leurs multiples processus, ne se posent même pas la question. Nous ajoutons ce boulet de l’intransigeance à notre petitesse et notre éloignement des grands marchés. Mais c’est ce qui fait l’innovation et que nous sommes différents.

C. L. : Notre recherche de simplification aboutit à un maximum de six ingrédients par produit. C’est un engagement énorme pour nous, car la réglementation cosmétique nous impose que la formule soit en mesure d’empêcher la prolifération de bactéries pathogènes. Ainsi, afin de limiter au maximum la nécessité des conservateurs, nous avons choisi de présenter nos émulsions dans un packaging airless (aucun contact avec l’air).

Ci-dessus : l’un des deux laboratoires de production de The Island Cosmetics à Lyon.
Ci-dessous : le nouveau laboratoire qu’Olica met aussi au service d’autres projets de cosmétiques.

Olica ouvre son nouveau laboratoire de production d’extraits végétaux à d’autres porteurs de projet. Y voyez-vous une avancée pour encourager l’innovation réunionnaise en cosmétiques ?

C. L. : Nous souhaitons développer cette approche partenariale à La Réunion. Notre laboratoire est aux normes réglementaires, il peut intéresser d’autres porteuses et porteurs de projet qui souhaiteraient produire localement. Nous pouvons le louer, produire à façon, conditionner à façon, nous pouvons faire de la formation sur l’ensemble des démarches et des techniques cosmétiques. Notre cœur de métier reste de produire et vendre des ingrédients cosmétiques, mais nous sommes ouvertes à partager nos connaissances et à mettre à disposition notre matériel et nos compétences.

S. B.-V. : Le laboratoire avec lequel je travaille en métropole est dans une démarche collaborative. Je travaille avec des ESAT pour le conditionnement de mes produits. C’était un engagement dès le départ.

M. F.-G. : C’est grâce à Sarra que j’ai trouvé mon logisticien. Camille me fournit mon hydrolat de géranium. Je pense que nous n’avons pas d’autre choix que de nous entraider d’une façon ou d’une autre. Nous sommes sur une île et nous ne sommes pas concurrentes. En collaborant, nous aurons plus de chance de pouvoir émerger et de faire entendre notre voix.

Une voix qui dirait quoi sur La Réunion ?

C. L. : Qu’elle a le potentiel pour devenir un hub des cosmétiques, tellement il y a de choses à valoriser qui ne sont pas encore assez connues. Nous avons la chance d’avoir pu conserver un savoir-faire ethno-pharmacologique qui s’est transmis de façon orale jusqu’à nous : c’est exceptionnel en France. Nous avons cette chance et c’est important de le faire connaître, car cela peut donner une nouvelle dimension à La Réunion. La Réunion, c’est du made in France, et l’île pourrait devenir le hub de l’océan Indien pour fabriquer des produits cosmétiques.

M. F.-G. : La Réunion serait le lieu idéal pour réaliser des tests d’efficacité de produits. Comme Sarra le soulignait, nous avons un panel de nuances de peau très large. En France, il n’y a pas d’endroit équivalent, et même dans le monde il y en a très peu.

S. B.-V. : J’ai fait moi-même beaucoup de tests localement. Mettre en place un laboratoire de tests d’usage de cosmétiques serait extrêmement intéressant.

De quelle aide et quel accompagnement auriez-vous besoin aujourd’hui pour progresser ?

S. B.-V. : Nous avons besoin de partenaires commerciaux engagés et d’une aide pour structurer une véritable filière cosmétique à La Réunion. Le pôle de compétivité Cosmetic Valley est très actif dans les autres Outre-mer. Il a créé une annexe aux Antilles. À La Réunion, son intervention demeure ponctuelle. Cosmetic Valley a des entrées dans les grands groupes et la capacité de mettre en avant des innovations. S’il venait s’installer, il verrait précisément ce qui se fait ici. Cosmetic Valley explique que la première étape pour constituer une filière, c’est que les acteurs apprennent à se connaître et à chercher des solutions communes à des problématiques communes. Je pense que nous en sommes là à La Réunion : nous sommes plusieurs à désirer nous structurer en association. À la Martinique, c’est une marque, Kadalys **, qui a été moteur dans cette démarche. D’où l’intérêt de réussir à constituer un pôle actif local pour pouvoir discuter avec le milieu professionnel.

M. F.-G. : Surtout avec des produits reconnus comme les nôtres.

C. L. : Nous avons un engagement très fort, comme on vous l’a décrit. Les collectivités locales, les institutions, nous aident à nous faire connaître. Nous aimerions que des partenaires commerciaux ressentent eux aussi cet engagement.

* Armeflhor : Association réunionnaise pour la modernisation de l’économie fruitière, légumière et horticole.

** Kadalys : marque martiniquaise de cosmétiques bio et naturels aux actifs du bananier.

Nous remercions le Village by CA Réunion, écosystème d’innovation réunionnais unique proposant un accompagnement sur mesure aux start-up locales, d’avoir facilité la réalisation de cette interview croisée, ainsi que la prise de photographies, dans ses locaux.


Sarra Beldi-Vencatachellum

Après une formation en école de commerce, Sarra Beldi-Vencatachellum a cumulé plusieurs expériences dans l’hôtellerie de luxe internationale avant de s’établir à La Réunion. The Island Cosmetics prend sa source dans son désir d’entreprendre, mais aussi dans un parcours marqué par une épreuve personnelle, où le maquillage a joué un rôle de thérapie.


Camille Legrand

Fille d’agriculteur, formée à la chimie, à l’analyse sensorielle et au commerce, Camille Legrand a exercé en grande distribution puis dans le conseil en marketing, avant de se lancer avec Emmanuelle Ferrere, phytochimiste et associée, dans le projet Olica.

 


Marina Féat-Gultzgoff

Diplômée de Sciences Po, Marina Féat-Gultzgoff a œuvré à la défense des intérêts des DOM-TOM au sein des institutions européennes à Bruxelles. À La Réunion, elle a occupé les fonctions de secrétaire générale de l’Association réunionnaise interprofessionnelle du bétail, des viandes et du lait (ARIBEV-ARIV), avant de créer Omaïdo.

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